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dimanche 7 février 2010

L’humiliation, un facteur de destruction sociale.

Par AHOUACH Abdellah

Parmi les facteurs déterminants de la naissance et la décadence des civilisations, la condition psychique de l’Homme est le plus important, compte tenu de son effet direct sur son comportement social, reconnu très important pour tout projet de société. Même si d’autres facteurs sont considérés comme indispensables pour de tel projet, l’état psychique de l’individu reste l’outil le plus apte à expliquer pourquoi des civilisations ont été né dans des circonstances matériellement défavorables. Et, pourquoi d’autres sont disparues alors qu’elles étaient puissantes d’armes et riches de ressources naturelles.


Depuis que l’homme a connu le passage d’un mode de vie basé sur la chasse et la cueillette vers un autre fondé sur la sédentarisation, la vie en groupe sous forme de microsociété où les individus sont liés entre eux par une relation de synergie s’est révélée être un moyen essentiel du fait de son utilité quant au travail de la terre, à l’apprivoisement des animaux et à la protection du territoire conquis contre d’éventuels agresseurs. Dans ce contexte, l’individu, par l’effort déployé et le travail accompli au service de la collectivité, est admiré par l’ensemble du groupe social, ce qui lui procure une reconnaissance et une identité sociales.

Par le sentiment identitaire, conjugué à une organisation sociale dépourvue de disparités sur le plan de la distribution des richesses produites, tous les membres de la jeune société primitive sont du point de vue psychique très solides et parfaitement épanouis malgré les maigres revenus dont il disposèrent. Ce fait explique d’après les historiens et les anthropologues pourquoi certaines tribus ne disposant pas de moyens matériels requises ont réussi à fonder de véritables empires et de puissantes civilisations sur de vastes territoires. Ils soulignent que le facteur humain dans sa dimension moral reste le plus déterminant dans le processus de la fondation de civilisations du fait de son impact décisif sur la motivation et la volonté de chaque membre à s’engager dans un tel défis et à supporter les conséquences qui en découlent.

L’exemple typique de ce genre d’exploit humain se manifeste dans l’expérience historique d’une poignée de bédouins musulmans d’Arabie. Pauvres de moyens matériels, mais d’une moralité très vive, ils ont fondé une civilisation parmi les plus glorieuses de l’époque sur un vaste territoire occupant les 2/5 de la surface du globe. Et ce dans un laps du temps record, estimé à 200 ans à peu près à compter du début de la révélation de l’islam. D’autres exploits non moins glorieux ont été réalisé au courant de l’histoire. La civilisation des Encas par l’Homme des Andes, celle des pharaons en Egypte, celle de sabaa au Yémen, du babylone en Irak et des grecs en Europe…etc.

A travers ces exploits l’Homme a pu prouver de quoi il est capable, par ses productions intellectuelles et sa capacité à dominer la nature par l’exploitation de ses ressources, quand la société lui confère un statut social lui permettant de préserver sa dignité. A cet effet, le génie de l’homme, depuis qu’il a commencé à prendre conscience du rôle de l’identité sociale de l’individu dans la stabilité de l’entité sociale établie, a su inventer ce que l’on appelle la culture. Il s’agit d’un ensemble de rites, de coutumes et traditions qui fixent les valeurs sociales à incarner et définissent l’éthique qui doit gérer les relations sociales de telle sorte que personne ne puisse se sentir humilier ou offusquer. En ce sens, les richesses et le pouvoir, considérés comme les principaux responsables de la perte d’identité sociale et de l’apparition du sentiment d’humiliation chez les individus s’ils ne sont pas distribués d’une manière équitable, sont traités par les systèmes culturels conçus de manière à empêcher leur concentration entre les mains de quelques uns et à favoriser leur distribution sur l’ensemble des membres selon des règles acceptés par tout le monde.

Par ailleurs, en l’absence de l’équité sociale, l’individu devient mélancolique suite au délitement de ses conditions de vie, ce qui le rend potentiellement exposer aux divers phénomènes tel que la pauvreté, le chômage, l’ignorance, la maladie, l’absence de libertés et la privation de ses droits. En conséquence, ceci lui fait perdre le sentiment d’avoir une identité sociale et le contraint ainsi à mener une vie indigne et dépourvue d’estime de soi. Face à cette humiliation subie, l’individu n’a d’autres choix que de réagir soit par le recours à l’isolement social dans le silence de la souffrance et à l’intérieur de la négligence de soi, soit par l’adoption d’un comportement social violant à l’encontre de son environnement. Il devient dans ce cas un facteur de destruction sociale et un inhibiteur du progrès escompté puisque son ambition de devenir le promoteur de projet de société s’est estompée sous l’impact de l’humiliation.

A partir de ce constat, on peut clairement déduire pourquoi les pays du tiers-monde continuent de souffrir sous le poids du sous développement depuis des décennies malgré les richesses naturelles dont ils disposent. La réponse réside alors dans des politiques socio-économiques qui méprisent le citoyen. Pauvre, chômé, malade, opprimé violement, analphabète, exclut dans les processus de prise de décision politiques, ce dernier a compris que la société ne lui accorde aucun estime ni ne lui procure aucune possibilité de reconquérir sa dignité et de retrouver son identité perdue. Une telle société, qui traite ses membres comme de simples instruments nécessaires à la mise en œuvre des programmes politiques qui ne servent plus qu’à enrichir davantage ceux qui sont déjà suffisamment riches, ne peut que former des individus psychiquement déstabilisés par le sentiment d’humiliation qui les envahisse. Dans ce genre de conditions, l’individu humilié devient un facteur d’exacerbation du sous développement puisque l'angoisse permanente et le mépris de soi dont il souffre étouffent ses potentialités d'innovation. Et, une menace pour la stabilité sociale par sa tendance à considérer la violence comme l’unique moyen qu’il faut utiliser pour pouvoir quitter la vie à la marge de la société.

Afin de protéger la société contre les conséquences néfastes et destructrices du sentiment d’humiliation, né de la perte du statut social et d’estime de soi chez l’individu, la correction de disparités sociales est devenu un impératif et une urgence à ne pas reporter. Sinon, la société risquerait de s’enfoncer dans un engrenage de violence (matérielle et moral) qui compromet toute possibilité de développement. Ni les discours officiels, prononcés le plus souvent pour duper davantage les masses, ni les retouches superficielles en matière de réformes politiques, destinées à embellir l’image du pays auprès de l’opinion mondiale, ne peuvent revivifier l’enthousiasme individuel et l’enchantement social perdus. Seul, des politiques justes et démocratiques sont susceptibles de déclencher la dynamique sociale fructueuse, et ce, en plaçant le citoyen, tous les citoyens, au cœur de leurs objectifs.